• Disco Valley - Goa - 1991


Histoire et Origines de la Transe



...::: NAISSANCE D'UN GENRE MUSICAL ou La Trahison de l'esprit Goa
Paradoxalement, l’avènement d’une musique destinée aux Goa parties coïncide avec la disparition de la scène à laquelle elle était dévolue. En fait, dès le départ, la notion de musique spécifique est un contresens. Pour Steve Psyko, DJ basé à Melbourne : « les Anglais ont décidé que la Goa Trance était juste un style musical, [mais] au départ, l’idée de la musique Goa, c’est que tout peut convenir ». Cette musique correspond donc bien plutôt au développement d’une scène différente de la scène hippie de Goa. En somme, le terme « Goa Trance » n’a jamais été bien approprié. Comme on va le voir, celui de « Psychedelic Trance » lui a d’ailleurs été rapidement substitué.

Les pionniers : 1988 - 1993
A la fin des années 80, les acidfreaks ont commencé à rentrer en Europe, au Japon ou en Australie, avec en tête l’idée de mettre au point une musique spécialement dédiée aux parties à Goa. Ils reviendraient la saison suivante, avec leurs DATs dans les poches, pour tester leur musique sur la piste de danse. Raja Ram, figure-clé de la scène, se souvient : « A l’époque, vous ne pouviez pas aller chez votre disquaire et acheter cette musique. Elle n’existait pas. Alors l’année suivante [saison 1989/1990], je suis retourné à Goa, comme je l’ai fait les huit années suivantes d’ailleurs. Mais cette fois, j’ai rencontré beaucoup de musiciens, et les choses ont commencé à devenir nettement plus sérieuse, avec rencontres dans les studios, discussions, et quand je suis revenu en Angleterre, on s’est vraiment mis à fond dans la musique, y travaillant quasiment tous les jours. On a fini par écrire environ 60 morceaux pour The Infinity Project avec Graham. »
Bien entendu, personne ne s’accorde sur le premier morceau qui mérite l’appellation « Goa Trance ». Peu inporte au fond. Curieusement, ce n’est pas un morceau destiné aux Goa Parties qui est bien souvent considéré comme le premier à comporter les caractéristiques de la psy-trance.
Il s’agit de The KLF - What Time is Love, judicieusement baptisé « Pure Trance version », paru en octobre 1988. Néanmoins, il existe un lien entre les KLF et la Goa Trance : durant les années 80, quelques futures grandes figures de la scène psy-trance se retrouvèrent aux côtés de Jimmy Cauty, 50% de The KLF, au sein du groupe Brilliant.

Tout d’abord Martin Glover, alias Youth, bassiste de Killing Joke avant de participer à The Orb, et qui fonda le premier label Goa Trance, Dragonfly Records, après son retour enthousiaste des plages de Goa.
Ben Watkins ensuite, fondateur du mythique Juno Reactor(*), grand expérimentateur de musique électronique depuis le milieu des années 80. Avec Johann Bley, il est l’auteur du premier hit Goa Trance dans les charts UK en 1992 : Jungle High. Il collabora également avec Stéphane Holweck, également partie prenante de Brilliant et membre du futur Total Eclipse(*), sur quelques projets plutôt ambient, comme Electrotete. Une bien belle photo de famille…

A cette photo de famille manque Ronald Rothfield, alias Raja Ram. Membre du groupe jazz rock Quintessence dans les années 60, il découvrit la magie des Goa parties en 1988, à près de cinquante ans. De retour en Angleterre, avec la complicité de Graham Wood, il écrivit quelques morceaux électroniques (Kicking with Boris, I Love my Baby, fin 1989) s’inspirant du son entendu à Disco Valley sous le nom de The Infinity Project. Suivit bientôt la création d’un label homonyme, TIP. Le décollage commercial du son Goa Trance commençait donc à s’effectuer à partir de Londres.
Citons encore l’influence déterminante d’un autre visiteur des terres indiennes : Joie Hinton. Ce dernier participa à la formation du groupe Ozric Tentacles en 1982. Leur musique était un savant mélange de sons futuristes et de guitares rugissantes, incorporant toutes sortes de samples que Joie avait rapportés d’Inde. En 1989, Joie Hinton et Merv Pepler formèrent Eat Static, en quelque sorte la face 100% électronique d’Ozric. Produisant au départ des morceaux Acid House assez classiques, ils trouvèrent vite leur style (dès leur EP « Almost Human » en 1992) qui eut, et a toujours, une influence considérable sur les artistes Goa Trance.
C’est en août 1993 que fut commercialisée la première compilation proprement Goa Trance, sur le label de Youth : Project II Trance. Elle contenait des morceaux par des artistes qui allaient compter parmi les figures de proue de la scène Goa : Simon Posford (Hallucinogen(*)), Stéphane Holweck (Total Eclipse(*)), Martin Freeland (Man With No Name(*))…
La même année, la première structure organisée destinée aux soirées Goa Trance voit le jour, encore à Londres, sous la houlette de Chris Deckker, percussionniste australien ayant trouvé l’inspiration qu’il cherchait pendant les parties à Goa : Return to the Source. Il sera bientôt rejoint par un DJ aujourd’hui célèbre, Mark Allen, organisateur des Pagan parties.

L’expansion du mouvement dans le monde : 1994-1997
Le terme « Goa Trance » apparaît vers 1994, puis se fera remplacé vers 1996 par « Psychedelic Trance », la référence à Goa devenant un peu ringarde. On verra bientôt pourquoi.
Durant cette période, c’est l’effervescence : le premier album de Juno Reactor, « Transmissions », considéré comme le manifeste du son Goa Trance, sort en janvier 1994. Suivant la voie tracée par Youth et Dragonfly Records, de nouveaux labels apparaissent : TIP de Raja Ram et Graham Wood – mort puis ressuscité en TIP World en 1999 –, mais également Platipus par Simon Berry – qui, après le succès du titre « Children » par Robert Miles, en 1995, s’est orienté vers un son plus commercial – Matsuri par Tsuyoshi Suzuki et John Perloff – label disparu en 1999 suite au désintérêt de son père créateur Tsuyoshi – Flying Rhino sous la direction de Sally Welch – disparu en 2002 suite à des difficultés financières – Blue Room Released, conduit par Simon Ghahary – disparu en 2002 suite au retrait de l’appui financier du groupe Blue Room – Phantasm… Bref, grâce à sa structure de musique indépendante bien établie depuis les Beatles, l’Angleterre mène la danse.

 


Voov Experience
Elle n’est cependant pas complètement seule. Les lois anglaises ne sont guère propices aux rassemblements électroniques festifs, à l’inverse des lois libérales allemandes, ce qui favorise l’expansion du mouvement sur les terres germaniques fraîchement réunifiées. Le premier festival Goa Trance apparaît près de Hambourg, en 1992 : la Voov Experience, aujourd’hui premier festival européen, ayant rassemblé 12.000 personnes en 2002. Deux ans plus tard, c’est au tour d’un label aujourd’hui très bien implanté d’apparaître dans la même région : Spirit Zone. En France, le festival Gaïa se déroule pour la première fois en 1992 – 6.000 participants en 2001 –, et Distance, label commercial, s’intéresse dès 1994 au son Goa, en retirant de substantiels profits.

La série des « Distance to Goa » représente d’ailleurs la plus grosse vente du mouvement, avec une moyenne de 25.000 exemplaires pour chaque compilation. Mais les premières ventes sont loin d’être aussi brillantes. Il manque un catalyseur pour qu’un plus large public entende parler de cette musique underground.
Au milieu des années 90, Paul Oakenfold est un DJ anglais très populaire, et possède son propre label, Perfecto. Avec Danny Rampling, Nicky Holloway et Johnny Walker, il a importé le nouveau son dance électronique d’Ibiza en Angleterre en 1987.
Ian « Ollie » Olsen, pionnier australien de la musique électronique à la fin des années 70 et de la Goa Trance avec le deuxième album de son projet Third Eye (Ancient Future, paru sur son label Psy-Harmonics en juillet 1993) lui fit découvrir le son Psy au début des années 90. Le 18 décembre 1994, Paul était l’invité de la fameuse émission radio « Essential Mix » sur BBC Radio 1. De 2 heures à 4 heures du matin, il joua le premier mix Goa a atteindre tout le pays[5]. Parallèlement, il ressortit quelques productions psy de petits labels Goa ou produisit des artistes Goa sur son propre label Perfecto, comme Man With No Name(*). Cela légitima cette nouvelle forme de musique aux yeux de tous les grands DJs anglais.
Entre 1996 et 1997, le mouvement Goa est à son apogée : les média relaient l’ampleur du phénomène[6], les DJ stars font leur apparition.
Mais l’effet de mode est vite passé : les ventes chutent brutalement, et la disparition du réseau de distribution anglais Flying laisse un grand vide derrière lui, entraînant dans sa chute plusieurs artistes et labels anglais. La presse techno, particulièrement en France, juge que le style Goa n’offre plus de potentiel d’évolution, et devient donc sans intérêt. La mort de la Goa Trance est symboliquement marquée par la compilation « Let it RIP » qui paraît chez Matsuri en octobre 1997.

Un cas à part : Israël

Le développement du son Goa Trance en Israël est différent de ce qu’il a été en Europe ou au Japon. En effet, l’Inde était interdite aux possesseurs d’un passeport israélien jusqu’en 1988. Dès que l’interdiction fut levée, Goa fut littéralement envahi par des groupes de jeunes Israéliens venant d’achever leur service militaire et cherchant un endroit pas cher et plein de charmes pour s’en remettre. Lorsqu’ils revinrent de leur voyage, il rapportèrent dans leurs valises musique électronique et drogues. Les premières fêtes psychédéliques, dénommées « Full Moon Gatherings », débutèrent dès 1990 sur les plages de Nizanim. Dès 1993, la police commença à faire des descentes dans ces soirées, considérées comme des foyers de drogue. Les DJs étaient arrêtés sans ménagement, le matériel confisqué.

La musique électronique rapportées de Goa et celle que l’on pouvait entendre dans des clubs comme « le Pingouin » suscitèrent des vocations parmi la jeunesse israélite. C’est là que le groupe le plus acclamé du genre allait apparaître : Astral Projection(*).
Après des productions très orientées Indus et Techno, Astral Projection, à l’époque SFX, composèrent leur premier morceau Trance à partir de 1992, comme « Allah Acbar ». Cette même année, le premier morceau Trance israélien, composé par Erez Jino (aujourd’hui Analog Pussy(*)), apparut sur une compilation locale de hits dance, Trance Mix 1. En 1995, le premier album de Goa Trance à sortir en Israël s’appelait Progressive Trance, par Indoor(*).
Du côtés des fêtes, un jeu de cache-cache était engagé entre les forces de police et la jeunesse israélienne. Dans la mesure où une descente de police peut intervenir d’un instant à l’autre lors d’une fête, les jeunes veulent pouvoir oublier le quotidien sinistre et s’éclater rapidement. Cela conduit au développement d’une forme de Trance baptisée Nitzhonot, au rythme rapide (plus de 150 bpm), à la structure simple et aux mélodies joyeuses. Une des premières compilations à sortir, fin 1997, s’appelle « Over the Sunrise », avec la star du mouvement, Holy Men. Cette musique simpliste n’est cependant pas au goût des puristes de Goa, qui désormais évitent ces soirées.
Alors que les voyages vers l’Europe deviennent moins chers, quelques Trancers israéliens décident, courant 1998, d’aller voir comment a évolué la scène Goa Trance hors de leurs frontières…

Changement d’orientation musicale : 1998-2002

En Europe, l’évolution du son Goa Trance a suivi une voie opposée à celle du Nitzhonot. Après 5 ans de musique mélodique accompagnée d’un très éphémère phénomène de mode, un brusque changement d’orientation s’est produit. La Psy Trance est devenue plus sombre et répétitive, se débarrassant des mélodies multi-couches pour se concentrer sur le rythme et le groove.
Une influence très nette du son Techno se fait sentir, même si les morceaux restent très hypnotiques et très psychédéliques. Cette orientation, qui s’impose peu à peu comme un courant dominant, n’est pourtant pas neuve. On rencontrait déjà ce style, surtout en Allemagne, dans des albums comme Der Dritte Raum – Wellenbad, paru en 1996.

L’album phare qui marque clairement ce tournant paraît en 1998 : X-Dream – Radio. Se développe à sa suite un courant qualifié de Minimal ou Techtrance, avec comme figures montantes S-Range ou Son Kite.
Les Scandinaves se mêlent également de la partie. Un des premiers vikings à se lancer est Tomasz Balicki, plus connu sous le projet Atmos. On commence à parler de « Scando sound », caractérisé par une atmosphère très sombre et des sons très durs, rappelant paraît-il les forêts du Grand Nord. On peut citer par exemple Battle of the Future Buddhas ou Ka-Sol.
A partir de 2002, on assiste à un retour de popularité des morceaux mélodiques, débarrassés des excès baroques des années 94-96, à la production très soignée, et plutôt orientés pour les soirées en club : la Full-on.

>>> L’esthétique Goa Trance