Depuis deux ans, le marché du disque est en récession. Indubitablement liée à la crise économique mondiale, la décroissance des ventes est également imputée à la prolifération de fichiers musicaux piratés sur Internet. La scène psy-trance est également touchée, et ce d’autant plus que ses bases commerciales sont frêles et peu professionnelles. C’est peut-être l’occasion pour la Trance psychédélique de renouer un tant soit peu avec l’esprit des temps anciens…
1. La situation musicale
1.1 Vers une fusion des genres ?
Faut-il encore le répéter
? La Goa Trance est née d’un véritable
melting-pot musical au milieu des années
80. Cet état d’esprit est heureusement
toujours présent : « tu peux être
influencé par la Hongrie, comme par la
musique indienne, comme par la musique arabe,
avec un rythme de plomb ! », déclarait
par exemple Stéphane Holweck (Total Eclipse)
en 1996. En fait, la définition simpliste
donnée de la Goa Trance un peu plus haut
n’a jamais été appliquée
à la lettre que pour les productions à
la mode des années 95-97. On a vu où
cela à conduit cette partie du mouvement…
Historiquement, on rencontre des ouvertures vers
les autres genres de musiques, électroniques
ou non, chez bon nombre de groupes, dès
les origines : Eat Static, véritables pionniers,
mêlant Funk, World music, Trance et Techno,
puis Metal Spark, ayant introduit les premiers
éléments Jungle de façon
conceptuelle avec leur album Corrosive, ou encore
Electric Universe proposant de nombreux éléments
électro dans ses premières productions.
Le gros des troupes ayant cessé de chercher
l’inspiration du côté de l’Inde
à la fin 97, c’est vers la Techno de Detroit que les regards se sont tournés
courant 98. Vers la House ensuite,
avec pour album pionnier Headcleaner, d’Atmos,
en 2000. L’influence de ce qu’il est
coutume d’appeler désormais «
Club Trance » se fait également de
plus en plus sentir (on peut citer l’album
Electric Roundabout de Human Blue).
1.2 Vers une culture club ?
Cette dernière influence
peut surprendre. En effet, « la scène
Goa Trance diffère de tant d’autres
scènes musicales par son aspect purement
festif en plein air. Alors que des styles comme
la House et la Techno sont davantage confinés
à des boîtes ou d’autres espaces
fermés, presque secrets, la Goa s’épanouit
grâce à sa pureté, son lien
à la nature, son attention portée
à l’essence et non au contexte des
fêtes. » Jusqu’à récemment,
la Psy Trance ne pouvait prendre tout son sens
que lors de grands rassemblements en plein air,
et non dans le cadre de discothèques branchées.
Il faut bien dire que le contexte politico-judiciaire
pousse en ce sens : à travers le monde,
de plus en plus de fêtes en plein air sont
interdites par les autorités, à
l’image de ce qui s’est passé
à Goa au milieu des années 90. Les
gens doivent donc se rabattre sur les fêtes
organisées dans des espaces fermés.
Ce n’est alors plus tout à fait le
même genre de morceaux qui conviennent.
Se retrouvant jouée entre les mêmes
murs que la Club Trance, la Psy Trance finit par
s’en imprégner, notamment en ce qui
concerne la qualité de la production. Pour
le meilleur ou pour le pire : le chaos créatif
psychédélique des origines s’efface
peu à peu derrière une production
plus soignée et plus facile à danser,
mais peut-être moins innovante musicalement.
Autre signe de cette mutation, les DJs sont ceux
qui impriment le tendances musicales, alors qu’autrefois
ce rôle était dévolu aux labels.
On se souvient de TIP qui s’enorgueillissait
de renouveler complétement le son de la
scène Psy Trance avec la parution de chacune
de ses compilations.
Au final, la scène se scinde en deux :
d’un côté les producteurs de
musique pour les « Indoor Parties »,
correspondant grossièrement à la
tendance Full-on, de l’autre
les chercheurs infatigables de nouveaux continents
psychédéliques, sous un format plus
libre que le rythme 4/4 imposé par la Trance,
la Psy Ambient (e.g. le projet
Shpongle de Simon Posford et Raja Ram).
2. La situation commerciale
2.1 Des ventes stagnantes ou en déclin : pourquoi ?
Comme on l’a rappelé en introduction, les ventes de disques dans le monde sont en chute libre : -2,8% en 2001, -8,8% en 2002. Ce déclin touche également la scène Psy Trance, dont les chiffres de départ ne sont déjà guère mirobolants. En effet, un album moyen se vend aux alentours de 2.000 exemplaires, et on commence à parler de gros succès à partir de… 5.000 exemplaires. Les artistes Psy Trance dont les ventes de disques dépassent régulièrement les 20.000 exemplaires se comptent sur les doigts d’une main : feu Transwave, Infected Mushroom, Astral Projection ou Hallucinogen, dont l’album Twisted fut la plus grosse vente du mouvement, avec 85.000 exemplaires. Bref, il s’agit d’un marché commercial minuscule.
Il existe plusieurs facteurs spécifiques pouvant rendre compte de la chute des ventes de disques Psy Trance :
- Surproduction par rapport aux capacités du marché : au début du mouvement, les structures commerciales étaient à l’échelle du public. Il y avait un seul réseau de distribution, 5 labels et une vingtaine d’artistes reconnus. Aujourd’hui, on compte 10 réseaux de distribution, plus de 50 labels et un nombre incalculable d’artistes produits. Dans le même temps, le nombre d’auditeurs ne s’est pas véritablement accru.
- Piratage de la musique : dans un sens, le nombre d’auditeurs de la Psy Trance a augmenté, grâce à la diffusion de la musique par Internet. Mais ce nouveau public n’a pas nécessairement le désir ou l’argent (il s’agit en grande partie d’étudiants disposant de peu de moyens financiers) d’aller au-delà de la collection de fichiers mp3 sur leur disque dur, opération qu’ils maîtrisent très bien étant donné leur âge.
- Manque de promotion : à leur décharge, reconnaissons qu’il est très difficile de trouver des disques Psy Trance chez son disquaire de quartier, depuis le flop de 1997. Ne parlons même pas de l’absence quasi complète de promotion commerciale sur les media de grande diffusion.
- Production de morceaux médiocres : malgré cette absence de marché, les labels produisent à tire larigot de nouveaux artistes, les incitant fortement à sortir des albums de plus en plus tôt afin de les retenir, souvent bien avant qu’ils aient atteint la maturité musicale indispensable à une telle réalisation.
Voilà où nous en sommes : du côté artistes, une trop grande quantité de musique produite, trop souvent de qualité médiocre, par rapport au marché potentiel. Du côté acheteurs, un jeune public sans grand moyen financier, sachant se procurer illégalement via Internet la musique qu’ils aiment et qu’ils ne peuvent trouver chez leur disquaire [en note : la conclusion de DJ Yaniv].
2.2 Un retour à l’esprit
originel ?
Une constat bien pessimiste. Et l’on se pose la question : comment les artistes Psy Trance font-ils pour survivre ? Comme on s’en doute, ce n’est pas grâce à la vente de disques, mais à la réalisation de Live ou de DJ sets.
En effet, pour ce genre d’événements,
les gens n’hésitent pas à
dépenser leur argent. Et les festivals
à travers le monde sont relativement nombreux
: on a déjà mentionné la
Voov Experience en Allemagne ou Gaïa en France,
mais il y a également le Boom Festival
portugais, le Samothraki Dance Festival grec,
le Zoom Festival suisse, les festivals Celebra
Brasil et South Africa à l’initiative
d’Etnica(*)… Toutes ces manifestations
rassemblent sans problème plusieurs milliers
de participants. Les Japonais en sont particulièrement
friands : il n’y a pas moins de 5 festivals
annuels (Solstice, Visionquest…) au Pays
du Soleil Levant ! Des milliers de personnes déboursant
près de 100 euros pour assister à
ces manifestations, mais qui sembleraient plus
réticents à dépenser quelques
dollars pour un CD…
Mais si l’on fait l’effort de bien
se remettre en tête l’enjeu de cette
musique, cela n’a rien d’étonnant.
Il s’agit avant tout d’une forme de
dance music, dont l’essence ne se révèle
véritablement que pendant les fêtes
: « Ecouter cette musique chez soi n’est
qu’un pâle reflet de ce que l’on
ressent sur la piste de danse ».
A partir de là, on peut suivre la logique
jusqu’au bout : les disques ne deviennent
plus que de simples outils de promotion pour les
groupes qui se produisent pendant les fêtes,
et les labels des agences de booking. Certains
artistes reconnus se sont déjà lancés
dans cette voie[exemple d’Elysium Project
et OOOD]. Pour certains groupes, il est malheureusment
plus facile de vendre quelques opus que d’être
conviés aux grands rassemblements festifs.
L’aspect rentabilité ne s’arrête
pas aux seuls ventes de disques, mais concerne
également l’organisation de soirées.
Et le risque de pertes financières finit
parfois par limiter la prise de risque artistique…
Si l’aspect festif finit par à nouveau
prédominer, comme sur les plages de Goa
à la grande époque, l’abandon
complet de tout l’aspect commercial du mouvement
n’est pas pour demain. Un retour aux sources
avec ses limites en somme.
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